L’obligation de mise en œuvre d’un dispositif d’alerte par la loi Sapin 2, et son renforcement par la loi Waserman ont permis à la notion « d’enquête interne » de prendre une dimension plus importante, sans pour autant qu’elle fût explicitement et légalement définie.
Cette notion née dans les années 2000 pour laquelle il aura été beaucoup fait ou écrit, sans qu’un texte normatif à ce seul titre n’ait vu le jour, mérite que l’on s’y attarde : l’AFA ou encore le Défenseur des droits on Des raisons ayant conduit à la rédaction de ce post
t publié des guides, non normatifs, dans lesquels on peut trouver un cadre pour la mise en place un dispositif propre aux enquêtes internes.
La notion d’enquête interne, est la démarche qui consiste pour l’entreprise à instruire, et à vérifier des faits, notamment révélés par un signalement. Sur le fond c’est ce que recouvre cette notion, d’inspiration anglosaxonne, et essentiellement issue de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
On pourrait en effet penser que les entreprises seraient juridiquement astreintes à un dispositif particulier, un formalisme précis, une organisation particulière, et même parfois à des modes de gouvernance ou d’investigation particuliers.
La réalité est moins tranchée, et il n’existe finalement d’autre obligation en la matière, que celle de respecter le corpus réglementaire, directement ou non lié aux étapes matérialisant une enquête interne, tel que la jurisprudence ou de la réglementation notamment sociale, pénale, ou encore en lien avec la confidentialité des données.
L’AFA et le Défenseur des droits, ont respectivement produit, dans les recommandations de 2021, et dans le guide pratique de 2023, ou dans la décision cadre du 5 février 2025, des recommandations sur ces enquêtes internes en lien avec des signalements fruits des art.8ou17de la loi Sapin 2, et pour les cas de harcèlement ou de discrimination révélés.
Des raisons ayant conduit à la rédaction de ce post
Il convient donc d’avoir en tête qu’une enquête n’est pas un objet juridique précisément défini, mais qu’il s’agit plutôt d’une démarche pilotée par le respect des normes de droit positif, matinées de bon sens, et que, selon votre serviteur, les raisons qui ont poussé AFA et Défenseur des droits à produire ces différentes sources documentaires visent plus à faire en sorte que les entreprises ne commettent rien de fâcheux qui puisse réduire à néant les efforts qu’elles mettraient en œuvre lors de l’instruction d’une alerte.
Les entreprises, leurs dirigeants, leurs cadres ou les conseils qu’ils sollicitent ne sont évidemment pas, aussi compétents soient-ils, des représentants d’autorités judiciaires, ou administratives spécialisées, non plus que des services de renseignement.
Tant l’AFA que le Défenseur des droits ne donnent évidemment pas de « recettes de cuisine » sur la conduite ou les techniques d’enquête interne. Ces modalités d’exercice sont l’apanage des équipes en charge de mener ces enquêtes, dans le respect absolu des normes qui s’imposent à elles.
Toutefois la lecture des productions des 2 autorités administratives met en évidence des approches de l’enquête interne parfois très semblables, parfois moins.
Ce document vise à faire une tour d’horizon, évidemment non exhaustif, des principales recommandations produites et entourant cette notion d’enquête interne.
Comprendre ces différences est d’importance : le système de lancement d’alerte étant commun à la prévention de la corruption et au harcèlement, comprendre les exigences requises par les instances de référence peut présenter un intérêt certain.
Table des matières
De la nécessité d’ouverture d’une enquête interne suivant un cadre précis. 3
Des délais dans lesquels diligenter une enquête interne. 4
De la qualité des décisionnaires et instructeurs de l’enquête. 5
De la façon de mener l’enquête. 5
De la façon de clore l’enquête. 7
De la nécessité d’ouverture d’une enquête interne suivant un cadre précis
L’autorité, le Défenseur des droits, et le service à compétence nationale, l’AFA, présentent des approches différentes:
- Là où l’AFA préconise la tenue d’un enquête interne dès survenance d’un signalement quelle qu’en soit l’origine ou la nature, le Défenseur des droits présente une approche au plus près du terrain. S’il est possible de mettre en évidence les faits signalés, ou de valider de façon certaine les preuves apportées par le lanceur d’alerte, alors la mise en œuvre d’une « enquête interne » n’est pas nécessaire.
Autrement dit en l’absence de nécessité d’investigations complémentaires, il n’est nul besoin de recourir à un dispositif d’enquête qui n’aurait pas d’intérêt. C’est la lecture que l’on peut faire de l’arrêt Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-13.975: l’absence de recours à une enquête interne peut être légitime.Le Défenseur des droits précise également que la complexité et la gravité des faits rapportés pourraient être des critères objectifs de mise en œuvre d’une enquête interne.
- Une autre différence sensible concerne le cadre même de l’enquête interne. L’AFA recommande l’élaboration d’une procédure d’enquête interne très précise, très complète qui permette d’établir les modalités de recueil et de conservation des éléments probants, de garantir le respect de l’obligation de confidentialité, de garantir le respect des droits de la défense, le droit au respect de la vie privée ainsi que la protection des données personnelles, d’optimiser les délais de mise en œuvre de l’enquête, et de garantir une norme de qualité pour l’ensemble des enquêtes internes.
Le Défenseur des droits propose quant à lui une approche moins détaillée, et évoque la nécessité de fixer « la méthodologie » de l’enquête interne, sans faire état d’une procédure particulièrement détaillée.
Les deux entités se rejoignent en exigeant l’une et l’autre que la méthodologie soit liée à une décision prise après information des instances représentatives du personnel (CSE, CSA notamment).
Sur le fond Défenseur des droits et AFA se rejoignent également sur les objectifs de l’enquête interne, fort heureusement sans grande surprise.
- Le premier précise qu’il s’agit:
- de recueillir de façon sécurisée la parole des victimes et témoins et de les protéger d’éventuelles représailles;
- de matérialiser les faits;
- de respecter la présomption d’innocence;
- de justifier la sanction ou l’absence de sanction décidée à l’encontre de la personne visée par le signalement;
- de remplir l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur en droit social.
- Et la seconde,
- d’objectiver des faits susceptibles de constituer des violations du code de conduite anticorruption pour les entreprises assujetties à l’article 17 de la loi Sapin II, ou [de matérialiser] des comportements non conformes aux procédures de l’entreprise visant à prévenir ou à détecter la commission de telles violations ou des indices de la commission de faits susceptibles d’être qualifiés de corruption.
L’approche du Défenseur des droits est, compte tenu des sujets visés met l’accent sur le respect des droits fondamentaux tant de la personne mise en cause que de l’auteur du signalement.
Des délais dans lesquels diligenter une enquête interne
Si le Défenseur des droits évoque un délai raisonnable n’excédant pas 2 mois après l’apparition du signalement, délai qui fait référence au délai de prescription prévu en droit du travail pour l’engagement de poursuites disciplinaires, et délai que ne contredit pas l’arrêt Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902qui précise qu’agir un an après la prise de connaissance des faits n’est pas acceptable.
L’AFA ne précise rien en matière de délais, mais il est également vrai qu’elle suggère le lancement d’une enquête interne dès survenance d’une alerte, ce qui laisserait à penser qu’une enquête doit être diligentée sans délai.
De la qualité des décisionnaires et instructeurs de l’enquête
Si le Défenseur des droits ne fait référence qu’à la notion d’employeur, à la fois décisionnaire et instructeur de l’enquête, dans le respect du droit en vigueur, l’AFA quant à elle fixe un niveau d’exigence particulier, qui sur le fond ne diffère pas de celle du Défenseur des droits.
- Pour l’AFA, la décision de diligenter une enquête relève de la responsabilité de l’instance dirigeante de l’entreprise ou des personnes qualifiées qu’elle aura désignées.
En effet dans un effet art. 17 de la loi Sapin 2 qui précise que tout procède de l’instance dirigeante en matière de prévention de la corruption, il est tout à fait cohérent que cette même instance dirigeante commande à la réalisation d’une enquête interne.
C’est à la fois plus précis que la seule notion d’employeur, et cela renforce la crédibilité de la démarche.- Pour ce qui concerne la réalisation de l’enquête elle-même, si l’AFA fait confiance au dirigeant pour désigner les personnes en charge de réaliser l’enquête, en précisant que le personnel désigné devra être compétent, indépendant, objectif, et expérimenté.
- Le Défenseur des droits présente une approche similaire, notamment pour ce qui concerne l’expérience et les compétences relatives aux faits signalés de l’équipe d’enquête, suivant un axe légèrement différent, en faisant de la collégialité une garantie d’objectivité et de compétence, et en apportant une composante pluridisciplinaire.
- L’autorité suggère également qu’en cas d’intégration de représentants du personnel à l’équipe d’enquête, ces derniers doivent avoir les mêmes pouvoirs que n’importe quel autre membre de l’équipe.
De la façon de mener l’enquête
Le sujet des alertes étant par nature très sensible, les précautions mentionnées par les 2 institutions si elles ne sont pas formulées de la même manière présentent de nombreuses caractéristiques communes, dont les principales sont reprises ci-après:
- La légalité des actions menées, ce qui apparaît évident, mais qu’il convient de rappeler, notamment au regard part exemple des dispositions relatives au droit social évidemment, mais aussi à la protection des données personnelles, ou encore au regard du principe de proportionnalité énoncé à l’art. L.1121-1 du Code du travail.
- A ce titre, par exemple, la confidentialité des échanges est promue par les 2 institutions. Le guide de l’AFA rappelle que tant les articles 8 et 17 de la loi Sapin 2, complétés par la loi Waserman, exigent que 3 secrets soient jalousement gardés pendant l’enquête: identité du lanceur d’alerte, identité des personnes mises en cause ou mentionnées dans le signalement, et contenu même du signalement.
- L’impartialité est requise, fort heureusement, le Défenseur des droits, comme l’AFA, exigent la présence de 2 personnes enquêtrices, a minima, pour les auditions, et l’AFA précise qu’il convient que « [l’]enquête [soit] menée de façon impartiale, à charge et à décharge ». Le sujet de l’impartialité est, à notre sens, probablement celui qui doit requérir le plus d’attention de la part des entreprises diligentant une enquête.
- Et la Cour d’appel de Paris, CA Paris, 25 janvier 2018, n° 15/08177, opère une synthèse, en validant une enquête interne, qui apparaissait «méticuleuse, paritaire et loyale»
Le sujet des alertes étant par nature très sensible, les précautions mentionnées par les 2 institutions si elles ne sont pas formulées de la même manière présentent de nombreuses caractéristiques communes, dont les principales sont reprises ci-après:
- L’information de la personne mise en cause est elle nécessaire ? Question sensible à la quelle les 2 institutions répondent de façon (à peu près) similaire: pour l’AFA il s’agit d’une obligation, «L’obligation d’informer les personnes visées par une enquête interne conduite dans l’entreprise se déduit à la fois de l’obligation de loyauté en droit social français et de l’obligation de transparence dans le traitement de données à caractère personnel prévue par le RGPD. ». Pour le Défenseur des droits, «l’information de la personne mise en cause n’est pas imposée par le Cour de cassation. Elle apparaît toutefois préférable dans un objectif d’impartialité et de contradictoire, sauf dans l’hypothèse où il existerait un risque de pression de la part du mis en cause sur les victimes présumées et/ou les témoins»
- La question de l’accompagnement des personnes entendues est également abordée par les 2 institutions.
- Pour l’AFA le personnel de l’entreprise peut être accompagné d’un représentant du personnel au cours de l’audition, ou d’un avocat si la personne entendue est externe à l’entreprise.
- Le Défenseur des droits, à l’appui de la jurisprudence de la Chambre sociale ne lit pas d’obligation d’être accompagné d’un représentant du personnel. Il ne s’agit pas d’entretiens préalables de licenciement.
Le sujet des alertes étant par nature très sensible, les précautions mentionnées par les 2 institutions si elles ne sont pas formulées de la même manière présentent de nombreuses caractéristiques communes, dont les principales sont reprises ci-après:
- La formalisation des auditions, ou entretiens mené(e)s est présentée comme une (forte) recommandation par le Défenseur des droits, là ou l’AFA évoque le sujet comme une possibilité «L’éventuelle retranscription de l’entretien doit être impartiale et ne pas constituer « l’interprétation par le rédacteur des échanges qui ont eu lieu».
- Les deux institutions soulignent l’importance de la relecture et de la signature du procès verbal par les personnes entendues.
- La formalisation d’un rapport d’enquête est fortement recommandée par l’AFA, et la Décision cadre en fait une évidence: la recommandation ne porte pas sur son existence – implicite -, mais bien sur son contenu « [… ]il expose les faits allégués et leur signalement, les mesures de protection mises en œuvre, les étapes de l’enquête, les difficultés rencontrées au cours de l’enquête (refus d’audition, incohérences d’un témoignage…), les éléments de présomption recueillis, les justifications de la personne mise en cause, les propositions de qualification juridique des agissements dénoncés et les mesures de traitement de la situation proposées»
De la façon de clore l’enquête
Une fois l’enquête et le rapport d’enquête achevés, quelles que soient les conclusions émises, à qui le rapport est-il transmis ?
- L’AFA conformément à l’esprit de la loi Sapin 2, fait référence de façon logique à l’instance dirigeante, ou à ceux que cette dernière aura désignés, pour décider des suites à donner à l’enquête menée.
- L’agence indique également des pistes à suivre suivant les résultats de l’enquête:
- Les faits allégués n’ont pas été corroborés à l’issue de l’enquête
- Dans ce cas le signalement est clôturé et le lanceur d’alerte est informé par écrit de l’issue donnée à son signalement dans les jours suivant la clôture.
- Le rapport d’enquête est archivé dans des conditions permettant de garantir un accès strictement restreint aux personnes habilitées à en connaître dans le respect des obligations relatives à la protection des données personnelles.
- Les faits allégués sont corroborés à l’issue de l’enquête
- Si les faits objet de l’alerte ont été corroborés par l’enquête alors il conviendra d’appliquer, notamment en cas de faits contraires au code de conduite anticorruption, les sanctions disciplinaires prévues au règlement intérieur. La sanction prononcée doit être proportionnée aux manquements constatés.
- Le défenseur des droits comme précédemment fait référence à « l’employeur », qui « conserve » le rapport. Ses recommandations précisent également que le rapport peut être communiqué en version anonymisée aux représentants du personnel en charge des questions de santé et de sécurité et avec l’accord de la victime (et/ou de l’auteur du signalement).
- Les faits allégués n’ont pas été corroborés à l’issue de l’enquête
- L’agence indique également des pistes à suivre suivant les résultats de l’enquête:
Pour conclure
Comme on le voit les recommandations de l’une ou l’autre des institutions ne diffèrent pas de façon sensible, mais il serait peut être pertinent, en fonction du contenu de l’alerte reçue – harcèlement discrimination – ou autre nature, d’adapter les modalités et les exigences d’enquête interne en les faisant s’inspirer de l’institution la plus proche des faits signalés.
Mais cela peut être complexe à l’usage.
La solution, serait alors d’appliquer les recommandations les plus protectrices.
Question à laisser trancher par les instances dirigeantes !
Il reste également à préciser que si les enquêtes décrites dans le cadre de harcèlement ou de discrimination sont par nature intimement liées au droit social, nombre d’enquêtes internes sortent totalement de ces questions, étant en lien avec des questions techniques de sûreté ou de sécurité, des questions financières, de fraude… Et les modalités de traitement de ces enquêtes ne passe que de façon très marginale par des entretiens, et sont guidées par des démarches techniques, informatiques qui doivent également être parées de précautions spécifiques.
Pour être complet il convient de faire état de l’existence du guide produit par le CNB, qui bien qu’étant adapté à la profession d’avocat, permettra de compléter le panorama de ce sujet constant développement.