Sapin II

Cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence: outil au service de Sapin 2 et pratique gagnante?

Après 7 ans de pratique de la loi Sapin 2, il peut être intéressant de faire un point sur la cartographie d’exposition aux faits de corruption et de trafic d’influence, mesure phare du dispositif.

Le 3° du II de l’article 17 de la loi Sapin 2 impose, aux sociétés remplissant les critères quantitatifs prévus, de réaliser « Une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ». [1]

Avec le recul, il apparaît que cette mesure représente plus qu’un outil au service de la détection et de la prévention de faits de corruption ou de trafic d’influence. Elle permet, en respectant certains aspects méthodologiques, de prémunir les dirigeants de risques qui ne relèvent pas uniquement et nécessairement du domaine de la corruption. Et de lui rendre d’autres services.

 

Le rôle essentiel de la cartographie des risques d’exposition à des faits corruption et de trafic d’influence 

Dans ses dernières recommandations l’Agence Française Anticorruption présente la cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence comme la pierre angulaire du dispositif de prévention et de détection de la corruption.

La mise en place des 7 autres mesures étant peu ou prou conditionnée par la réalisation de cet exercice préliminaire de représentation formelle des risques auxquels l’entreprise est exposée.

Malgré ces éléments, la cartographie des risques n’est pourtant pas toujours la première mesure mise en place au sein des entreprises.

Par souci d’économie, par méconnaissance de l’économie générale de la loi, par choix assumé, certaines entreprises assujetties à la loi entament parfois leur mise en conformité par les mesures considérées comme les moins consommatrices de ressources ou de temps, telles que le code de conduite et son régime de sanctions, ou encore le dispositif d’alerte.

En comparaison de ces dernières mesures, l’exercice de cartographie est un « chantier » conséquent qui nécessite la collaboration d’un grand nombre de collaborateurs, et qui constitue, de fait, une tâche relativement ardue.  

Au nom du seul bon sens, il semble néanmoins difficile d’adopter des mesures permettant de prévenir la survenance de risques auxquels une entreprise est potentiellement exposée, si ces derniers n’ont pas été préalablement identifiés.

Comment indiquer aux salariés ce qu’il ne faut pas faire, si l’on n’a soi même pas identifié ses propres faiblesses ?

C’est donc à raison que l’AFA place la cartographie des risques comme la pièce maitresse du dispositif dans ses recommandations.

D’ailleurs, les rapports de contrôle de l’Agence sont structurés de telle sorte que la cartographie des risques arrive en seconde position après un développement critique sur l’engagement de l’instance dirigeante, et l’organisation de la fonction conformité.

Ainsi, l’on pourrait considérer que la cartographie des risques de corruption est pour le Compliance Officer ce qu’est le plan pour l’architecte qui lui permet de bâtir un dispositif de conformité anticorruption adapté au profil de risque de l’entreprise.

Fort de cette conviction, il semble pertinent de se concentrer sur le processus d’élaboration de la cartographie afin de mettre en lumière les apports d’un tel exercice au-delà même de l’identification de risques de corruption et de trafic d’influence.

 

Des points de passage nécessaires

L’élaboration de la cartographie des risques de corruption est un exercice technique nécessitant une bonne compréhension des schémas de corruption, de trafic d’influence ou encore de fraude, ainsi qu’une bonne connaissance des éléments constitutifs de ces infractions, afin d’être à même d’identifier les faits générateurs de ces risques dans l’entreprise.

Une vision détaillée de l’environnement, notamment géographique, dans lequel opère l’entreprise, de ses processus, et de ses activités, sera un atout majeur pour mener à bien l’identification des risques de corruption et de trafic d’influence.

Cette connaissance précise de l’entreprise facilitera l’analyse de l’ensemble des processus managériaux, opérationnels, et support de l’entreprise, ainsi que leurs différentes variantes ou déclinaisons.

Comme le rappellent les recommandations l’AFA[2],  une analyse fine des processus permettra d’identifier ceux qui sont a priori les plus à risques.

De cette analyse, une liste de personnes à interviewer pourra être établie, comprenant des personnes de différents niveaux hiérarchiques, et notamment des responsables ou acteurs majeurs des processus identifiés.

Lors de cette sélection, il conviendra de garder à l’esprit que les ceux qui auront été choisis devront permettre in fine d’identifier les scenarios de corruption ou de trafic d’influence (ou de fraude) susceptibles de se produire dans l’entreprise.

Il est donc crucial de les sélectionner avec un soin particulier, afin d’être certain de couvrir l’ensemble du périmètre de l’entreprise. Dans le cas contraire, il sera difficile d’obtenir l’assurance raisonnable que les risques identifiés reflètent fidèlement ceux auxquels l’entreprise est réellement exposée.

L’omission de certains aspects, tels que des activités à risque ou des zones géographiques sensibles, pourrait fausser l’exercice de cartographie et compromettre son efficacité, ainsi que celle de l’ensemble du dispositif.

Cette cartographie a en effet vocation à produire ses effets sur les 7 autres mesures après sa validation formelle par l’instance dirigeante.

Comme le spécifient les rapports de contrôle de l’AFA, la cartographie des risques doit être établie « aux bornes du Groupe [de l’entité contrôlée] », ce qui signifie en tout point de ce dernier.

Rien n’interdit donc, en cas de lacune identifiée dans le panel interviewé pendant l’exercice de cartographie, à élargir ce dernier en invitant d’autres collaborateurs à participer à l’exercice. 

En pratique, il est fréquent que certaines personnes évoquent l’existence de potentielles zones de risques en dehors de leur périmètre de responsabilité et indiquent qui rencontrer pour approfondir le sujet évoqué.

Outre l’analyse des processus et la sélection des personnes qui participeront aux entretiens, le choix de la méthode utilisée pour mener ces entretiens, est un facteur déterminant pour la réussite de l’exercice. La méthode établie pour mener les entretiens doit avant tout favoriser une liberté d’expression (presque) totale.

La cartographie devant permettre aux dirigeants d’avoir une vision claire du profil de risque de leur organisation, quelques bonnes pratiques, vis-à-vis des personnes interviewées peuvent être ici rappelées:

  • Une évocation du contexte sera essentiel pour permettre à la personne interviewée de comprendre pourquoi sa contribution est essentielle pour l’exercice ;
  • La confidentialité, rappeler à son interlocuteur:
    • qu’il peut s’exprimer en toute liberté ;
    • qu’il ne s’agit en rien d’une enquête, ou d’un examen ;
    • qu’aucun lien direct n’a vocation à être établi entre l’interview et les scénarios de risque qui seront in fine identifiés dans la cartographie ;
  • Une posture rassurante adoptée par ceux qui ont la charge de la réalisation de la cartographie, est déterminante. L’écoute est de mise pour cet exercice. Il est important que la personne interviewée n’ait pas le sentiment d’être mise en accusation, ou soupçonnée de quoi que ce soit, pas plus d’ailleurs que l’exercice ne doive être envisagé comme une simple discussion de salon. L’idée est que la personne rencontrée décrive son activité, son quotidien professionnel et que l’expert en fasse une lecture adaptée à l’exercice qu’il est en train de réaliser, par le prisme de la prévention de la corruption ;
  • La liberté des propos. Conséquence du point précédent, indiquer que l’objectif de l’entretien est d’évoquer l’activité liée au périmètre d’activité dans l’entreprise en général, et non de collecter de « bonnes » réponses qu’on serait en peine de caractériser. Décrire ce que l’on fait de la façon la plus libre et la plus simple contribuera de la meilleure manière au succès de l’exercice.
  • L’absence de cadre strict, et surtout l’écoute. On évitera par conséquent de « dérouler » un questionnaire, potentiellement trop étroit, et qui, s’il venait à circuler au sein du panel, permettrait à certains de préparer l’interview, et de faire perdre tout intérêt à la démarche, en donnant à celui qui mène les entretiens ce qui semblerait lui convenir, ou être attendu de lui.
  • Guider la personne rencontrée lorsque cela semble nécessaire, afin de ne jamais perdre de vue l’objectif de l’exercice. Avant la fin de l’entretien, s’assurer que la personne a évoqué l’ensemble des situations qui selon elle serait susceptibles de générer des faits de corruption et de trafic d’influence, ou encore de fraude.

Lorsque la personne interviewée est placée dans un climat de confiance, les échanges sont plus fluides et d’autant plus instructifs, allant au-delà de l‘identification des seules zones d’exposition aux risques de corruption

Même si l’objectif de l’exercice est d’identifier les risques de corruption et de trafic d’influence, il peut permettre de découvrir des zones de vulnérabilité parfois sous-estimées ou parfois inconnues de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire de s’éloigner de la thématique initialement prévue.

 

Des résultats allant au-delà de la seule mise en conformité

Ainsi les cartographies de risques de corruption, mettent en évidence, des zones de risques d’exposition à la corruption, pas toujours connues des dirigeants, et permettent en outre, de façon plus inattendue, de mettre en évidence des zones de risques jusque-là non suivies, parce que non identifiées.

Et, dans nombre de cas ces dernières zones permettent, au-delà de la seule question de la conformité, et du cercle vertueux qu’elle est censée mettre en œuvre, d’engendrer des économies significatives pour l’entreprise, (vraiment) contre toute attente.

Il en est ainsi par exemple, de la mise sous contrôle de pratiques potentiellement coûteuses, et potentiellement inconnues du management, telles que les opérations de mécénat et de sponsoring, de certains frais commerciaux parfois discrets. Il en est de même pour certaines catégories d’achats, qui avant l’exercice de cartographie ne subissaient que peu, ou pas de contrôles, et qui, une fois mises sous observation, fondent assez naturellement.

Au-delà de la conformité, au-delà de la génération d’économies, une mise en conformité en appelant une autre, l’exercice peut également révéler des lacunes vis-à-vis d’autres volets de la compliance au sens large, telle que des réglementations de l’Union Européenne, ou des contraintes imposée par l’OCDE, ou l’OFAC, pour ne citer qu’elles, qui sans être directement liées à la prévention de la corruption peuvent s’avérer extrêmement coûteuses à l’entreprise si elles ne sont pas respectées.

La cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence, considérée à tort comme une seule contrainte, se révèle être un outil essentiel permettant aux dirigeants d’obtenir une vision précise des risques de corruption et de trafic d’influence, mais également de zones de vulnérabilité où les processus de l’entreprise sont soit absents, mal déployés ou encore mal appliqués.

La correction de ces situations engendre souvent des économies, et rend l’exercice de cartographie des risques de corruption rentable. Vertu et profit se rencontrent, rendant l’exercice de cartographie nettement plus attractif pour l’entreprise et ses dirigeants.

[1] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, art 17, II, 3°

[2] Recommandations de l’Agence Française Anticorruption, version du 4 décembre 2020, §133, p.20

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