Actualités, Sapin II

CJIP: analyse et enseignements tirés des conventions rendues publiques

Des données disponibles

L’Agence française anticorruption publie sur son site les différentes conventions judiciaires d’intérêts publics (CJIP) qui ont vu le jour depuis que la loi Sapin 2 les a introduites en droit français.

La convention judiciaire d’intérêt public

Pour mémoire, une CJIP, ou convention judiciaire d’intérêt public, est un mécanisme juridique, inspiré des mécanismes anglo-saxons tels que le Deferred Prosecution Agreement (DPA) aux États-Unis. Ce mécanisme a été introduit en droit français par la loi Sapin II fin 2016, et permet à une personne morale poursuivie pour certains délits – faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe – de conclure une convention avec le procureur de la République, soumisse à validation du juge en audience publique.

Cette convention, permet de suspendre les poursuites judiciaires, et d’éviter de longs et coûteux procès, mais également d’encourager les entreprises à adopter des comportements plus éthiques, et à renforcer leurs dispositifs de prévention de la corruption et de la fraude, en échange de plusieurs engagements de la part de l’entreprise, comme le décrit l’art.. 22 de la loi Sapin 2:

Ces engagements sont les suivants:

  • la reconnaissance des faits par l’entreprise incriminée,
  • le versement d’une amende d’intérêt public qui ne peut excéder (!) 30% de son chiffre d’affaires annuel,
  • la mise en place de mesures de conformité pour prévenir les récidives, souvent sous la supervision de l’Agence française anticorruption (AFA) pour une durée maximale de 3 ans ;
  • enfin, si des victimes ont été identifiées, l’indemnisation de ces dernières par l’entreprise.  

Nous avons procédé à une analyse des 22 CJIP publiées sur le site de l’AFA, afin d’en tirer quelques enseignements généraux, quelques chiffres, même si ces derniers n’auront aucune valeur statistique probante, pas plus qu’une quelconque vertu prédictive.

Toutefois certains points communs à ces CJIP méritent d’être mis en exergue.

Un aperçu historique de ces CJIP, année année après année peut être représentée comme suit :

Comme on le voit, la tendance est plutôt à la hausse d’année en année, sans pause marquante liée à la crise Covid.

La nature des infractions relevées

Pour ce qui est de la nature des poursuites, les faits de corruption sont les plus représentés, eux même ventilés de façon à peu près équivalente entre faits de corruption d’agents publics étrangers, et corruption d’agents publics « français »

Les développements qui suivent ne concernent que les CJIP conclues dans le cas de faits de corruption.

D’autres infractions, se superposant la plupart du temps aux précédentes, ont également pu être relevées notamment celle de favoritisme (4 occurrences), celle de trafic d’influence ou de prise illégale d’intérêt (3 occurrences).

Il est à ce titre intéressant de noter que des faits de corruption liés à la passation de marchés publics apparaît 5 fois, réparties entre corruption d’agent public étranger, et agent public national. Notons au passage que la réglementation française de la commande publique mériterait sans doute d’être renforcée pour prévenir les faits de corruption.

 

Ventilation par nature principale d’infraction des CJIP signées depuis 2017, et ventilation des faits de corruption impliquant ou non un agent public étranger :

                           

Il apparaît que dans les cas de corruption d’agents publics étrangers, les montants engagés par les entreprises participant des faits de corruption, sont la plupart du temps plus significatifs que dzans le cas des affairtes de corruption limitée au territoire national: de 300 K€ à 83 M€, avec un écart type très important.

La corruption active

Contrairement à ce que l’on pourrait parfois penser en première intention, ce que vise l’esprit de la loi sapin 2, et surtout le juge, n’est pas tant la corruption passive, ou la fraude dans l’entreprise, que la corruption active réalisée au « bénéfice » -si l’on peut employer ce terme – de l’entreprise, et non de la mise en évidence d’un avantage personnel dans acquis par un collaborateur de l’entreprise.

Ainsi les conventions judiciaires d’intérêt public ne concernent que de la corruption active, commise, par et au « bénéfice » des entreprises mises en cause.

L’absence de prise en compte du caractère financièrement « significatif » des infractions

Dans les cas de corruption publique « nationale », si l’on peut dire, les montants en jeu sont nettement moins significatifs variant de de 19 K€ à 350 K€.

Point intéressant : nombre d’entreprises, suivant un raisonnement de contrôleur ou d’auditeur financier, et ont tendance à considérer que certaines dépenses en dessous d’un certain seuil n’ont pas à faire l’objet de contrôles, ou de surveillance, particuliers, parce que ne présentant pas de risque financier majeur. Cruelle erreur.

Aussi mineurs que puissent apparaître les signaux – à l’échelle des Groupes incriminés, bien sûr – la corruption est identifiée et prise très au sérieux par les juges.

Si l’on y rajoute le fait que les sanctions sont assorties de procédures de mise en conformité, dépassant le simple rappel à la loi, l’on peu considérer que cette politique judiciaire est pour le moins incitative en la matière.

Autre élément intéressant, pour 13 des CJIP conclues pour des faits de corruption, il a été retenu des pénalités au-delà de la sanction initialement prévue. Le fait générateur de ces pénalités étant constitué de faits aggravants caractérisés par l’implication d’agents publics, par une coopération inexistante de la part l’entreprise dans l’instruction de l’infraction, un étalement dans le temps particulièrement long de l’infraction commise, ou encore le bénéfice particulièrement élevé tiré des opérations de corruption visée.

Quelques ratios illustratifs

De façon assez simple, en rapportant

  • les sommes dépensées par l’entreprise, et caractérisant les faits de corruption,  
  • à l’estimation de l’avantage obtenu par les manœuvres dolosives de l’entreprise mise en cause,

l’on peut tirer un ratio riche d’enseignements lorsqu’il est calculable : il s’établit à une fourchette comprise entre 3 fois le montant dépensé par l’entreprise fautive, et plus de 110 fois la « mise » initiale.

Les ratios les plus représentatifs s’établissant entre 3 et 10 (9 occurrences) autour de 20 (3 occurrences) et plus de 110 (une occurrence).

Il n’existe pas de corrélation manifeste entre les montants versés pour caractériser l’acte de corruption, et l’avantage estimé tiré de l’acte qualifié. Le schéma suivant permet également de constater que les montants mobilisés par les entreprises s’établissent le plus souvent entre 100 000 et 700 000 Euros, avec quelques exceptions évidemment.

Le schéma suivant corrigé de ses valeurs extrêmes présente par occurrence lee rapport entre montants indûment versés et avantage estimé, « gagné » par l’entreprise impliquée:

 

Dernier point, probablement le plus important relatif à la corrélation entre avantage tiré de la corruption et sanction financière infligée par la convention.

De façon assez cohérente, sur le petit échantillon disponible, il est possible de dire que les sanctions infligées correspondent dans l’immense majorité des cas à « une fois et quelque » le montant de l’avantage estimé tiré des faits de corruption, à une exception près, qui vient confirmer la règle, comme il se doit.

Enfin dernier pont notable, dans presque tous les cas de figure, les entreprises sanctionnées on bénéficié de facteurs de diminution de sanction, liés la plupart du temps à une coopération active.

Il est curieusement assez étonnant de voir que chacune de celles qui ont pu bénéficier de circonstances « atténuantes », se voient également reprocher des circonstances aggravantes le plus souvent parce que les faits de corruption ont duré plusieurs années avant qu’une reprise en main de l’entreprise ne soit effectuée.

 

En conclusion de ces quelques données, l’on pourra dire que le crime de paie jamais, même s’il paraît peu significatif.

Et que grâce au mécanisme de la CJIP, les caisses de l’Etat se rempliront bien plus rapidement que par le jeu des sanctions pénales issues du code, le tout avec grâce à moindre effort de la justice.

Pour l’obtention du fichier ayant servi à cet article, n’hésitez pas à nous contacter.

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